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La semaine du droit de la famille

Civil - Personnes et famille/patrimoine
21/09/2020
Présentation des dispositifs des arrêts publiés au Bulletin civil de la Cour de cassation, en droit de la famille, la semaine du 14 septembre 2020.
Etat civil – acte de naissance – filiation – parent biologique
« Selon l’arrêt attaqué (Montpellier, 14 novembre 2018), Mme Y... et M. X... se sont mariés le 14 août 1999. Deux enfants sont nés de cette union, B... le [...] 2000 et C... le [...] 2004.
En 2009, M. X... a saisi le tribunal de grande instance de Montpellier d’une demande de modification de la mention relative à son sexe dans les actes de l’état civil. Un jugement du 3 février 2011 a accueilli sa demande et dit qu’il serait désormais inscrit à l’état civil comme étant de sexe féminin, avec A... pour prénom. Cette décision a été portée en marge de son acte de naissance et de son acte de mariage.
Le [...] 2014, Mme Y... a donné naissance à un troisième enfant, D... Y..., conçue avec Mme X..., qui avait conservé la fonctionnalité de ses organes sexuels masculins. L’enfant a été déclarée à l’état civil comme née de Mme Y....
Mme X... a demandé la transcription, sur l’acte de naissance de l’enfant, de sa reconnaissance de maternité anténatale, ce qui lui a été refusé par l’officier de l’état civil.
 
Aux termes de l’article 61-5 du Code civil, toute personne majeure ou mineure émancipée qui démontre par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe dans les actes de l’état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue peut en obtenir la modification. Selon l’article 61-6 du même Code, le fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut motiver le refus d’accueillir la demande, de sorte que la modification du sexe à l’état civil peut désormais intervenir sans que l’intéressé ait perdu la faculté de procréer.
Si l’article 61-8 prévoit que la mention du sexe dans les actes de l’état civil est sans effet sur les obligations contractées à l’égard des tiers ni sur les filiations établies avant cette modification, aucun texte ne règle le mode d’établissement de la filiation des enfants engendrés ultérieurement.
Il convient dès lors, en présence d’une filiation non adoptive, de se référer aux dispositions relatives à l’établissement de la filiation prévues au titre VII du livre premier du Code civil.
Aux termes de l’article 311-25 du Code civil, la filiation est établie, à l’égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans l’acte de naissance de l’enfant.
Aux termes de l’article 320 du même Code, tant qu’elle n’a pas été contestée en justice, la filiation légalement établie fait obstacle à l’établissement d’une autre filiation qui la contredirait.
Ces dispositions s’opposent à ce que deux filiations maternelles soient établies à l’égard d’un même enfant, hors adoption.
En application des articles 313 et 316, alinéa 1er, du Code civil, la filiation de l’enfant peut, en revanche, être établie par une reconnaissance de paternité lorsque la présomption de paternité est écartée faute de désignation du mari en qualité de père dans l’acte de naissance de l’enfant.
De la combinaison de ces textes, il résulte qu’en l’état du droit positif, une personne transgenre homme devenu femme qui, après la modification de la mention de son sexe dans les actes de l’état civil, procrée avec son épouse au moyen de ses gamètes mâles, n’est pas privée du droit de faire reconnaître un lien de filiation biologique avec l’enfant, mais ne peut le faire qu’en ayant recours aux modes d’établissement de la filiation réservés au père.
Aux termes de l’article 3, § 1, de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant, dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. Selon l’article 7, § 1, de cette Convention, l’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux.
L’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dispose que :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
Aux termes de l’article 14, la jouissance des droits et libertés reconnus dans la Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.
Les dispositions du droit national précédemment exposées poursuivent un but légitime, au sens du second paragraphe de l’article 8 précité, en ce qu’elles tendent à assurer la sécurité juridique et à prévenir les conflits de filiation.
Elles sont conformes à l’intérêt supérieur de l’enfant, d’une part, en ce qu’elles permettent l’établissement d’un lien de filiation à l’égard de ses deux parents, élément essentiel de son identité et qui correspond à la réalité des conditions de sa conception et de sa naissance, garantissant ainsi son droit à la connaissance de ses origines personnelles, d’autre part, en ce qu’elles confèrent à l’enfant né après la modification de la mention du sexe de son parent à l’état civil la même filiation que celle de ses frère et soeur, nés avant cette modification, évitant ainsi les discriminations au sein de la fratrie, dont tous les membres seront élevés par deux mères, tout en ayant à l’état civil l’indication d’une filiation paternelle à l’égard de leur géniteur, laquelle n’est 9 519 au demeurant pas révélée aux tiers dans les extraits d’actes de naissance qui leur sont communiqués.
En ce qu’elles permettent, par la reconnaissance de paternité, l’établissement d’un lien de filiation conforme à la réalité biologique entre l’enfant et la personne transgenre - homme devenu femme - l’ayant conçu, ces dispositions concilient l’intérêt supérieur de l’enfant et le droit au respect de la vie privée et familiale de cette personne, droit auquel il n’est pas porté une atteinte disproportionnée, au regard du but légitime poursuivi, dès lors qu’en ce qui la concerne, celle-ci n’est pas contrainte par là-même de renoncer à l’identité de genre qui lui a été reconnue.
Enfin, ces dispositions ne créent pas de discrimination entre les femmes selon qu’elles ont ou non donné naissance à l’enfant, dès lors que la mère ayant accouché n’est pas placée dans la même situation que la femme transgenre ayant conçu l’enfant avec un appareil reproductif masculin et n’ayant pas accouché.
En conséquence, c’est sans encourir les griefs du moyen que la cour d’appel a constaté l’impossibilité d’établissement d’une double filiation de nature maternelle pour l’enfant D..., en présence d’un refus de l’adoption intra-conjugale, et rejeté la demande de transcription, sur les registres de l’état civil, de la reconnaissance de maternité de Mme X... à l’égard de l’enfant.
 
Vu l’article 57 du Code civil, ensemble l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :
La loi française ne permet pas de désigner, dans les actes de l’état civil, le père ou la mère de l’enfant comme « parent biologique ».
Pour ordonner la transcription de la mention « parent biologique » sur l’acte de naissance de l’enfant D... Y..., s’agissant de la désignation de Mme X..., l’arrêt retient que seule cette mention est de nature à concilier l’intérêt supérieur de l’enfant de voir établir la réalité de sa filiation biologique avec le droit de Mme X... de voir reconnaître la réalité de son lien de filiation avec l’enfant et le droit au respect de sa vie privée consacré par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le terme de « parent », neutre, pouvant s’appliquer indifféremment au père et à la mère, la précision, « biologique », établissant la réalité du lien entre Mme X... et son enfant.
En statuant ainsi, alors qu’elle ne pouvait créer une nouvelle catégorie à l’état civil et que, loin d’imposer une telle mention sur l’acte de naissance de l’enfant, le droit au respect de la vie privée et familiale des intéressées y faisait obstacle, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».
Cass. 1re civ., 16 sept. 2020, n° 18-50.080 et n° 19-11.251,P+B+R+I *
 
 
Logement familial – partage de l’indivision
« Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 avril 2019), M. X s'est engagé, avec sa soeur, en qualité de caution solidaire auprès de la société Crédit industriel et commercial (la banque), pour garantir le règlement du prêt consenti à une société dans laquelle ils étaient associés et qui a été placée en liquidation judiciaire le 7 avril 2009.
Par jugement du 26 mai 2010, le tribunal de commerce a inscrit au passif de cette liquidation la créance de la banque et condamné les cautions à payer à celle-ci la somme principale de 107 300,60 euros.

La banque a assigné M. X et son épouse séparée de biens pour voir ordonner, sur le fondement de l'article 815-17, alinéa 3, du Code civil, le partage de l'indivision existant entre eux et, pour y parvenir, la licitation du bien immobilier indivis servant au logement de la famille.
 
Les dispositions protectrices du logement familial de l'article 215, alinéa 3, du Code civil ne peuvent, hors le cas de fraude, être opposées aux créanciers personnels d'un indivisaire usant de la faculté de provoquer le partage au nom de leur débiteur en application de l'article 815-17, alinéa 3, du même Code.
C'est dès lors à bon droit qu'en l'absence de toute allégation de fraude, la cour d'appel a accueilli la demande de la banque tendant, sur le fondement de ce texte, au partage de l'indivision existant entre les époux X et à la licitation du bien immobilier servant au logement de leur famille ».
Cass. 1re civ., 16 sept. 2020, n° 19-15.939,P+B *
 

Lien de filiation – contestation – contribution à l’entretien et à l’éducation
« Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 13 septembre 2018), U. X est né le 17 octobre 2003 du mariage de M. X et de Mme Y. Le 8 janvier 2008, alors que ces derniers étaient en instance de divorce, M. Z a reconnu l'enfant. Une ordonnance de non-conciliation du 7 février 2008 a condamné M. X à verser mensuellement à Mme Y une somme de 300 euros à titre de contribution à l’entretien et à l’éducation d’U. Le 16 mai 2008, M. A engagé une action en contestation et en établissement de paternité, qui a été accueillie par jugement du 29 avril 2016.
 
Vu les articles 371-2 et 1376 du Code civil, ce dernier dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 :
L'effet déclaratif attaché à un jugement accueillant une action en contestation du lien de filiation fait disparaître rétroactivement l'obligation d'entretien qui pesait sur le parent évincé en application du premier de ces textes, en sorte que les paiements qu'il a fait pour subvenir aux besoins de l'enfant se trouvent dépourvus de cause. Selon le second, celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû s'oblige à le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu.
Il s'ensuit que l'action en répétition des paiements effectués au titre d'une contribution à l'entretien et à l'éducation d'un enfant fondée sur l’effet déclaratif d’un jugement accueillant une action en contestation du lien de filiation ne peut être dirigée que contre celui qui en a reçu paiement en qualité de créancier.
Pour condamner solidairement M. Z, avec Mme Y, à rembourser à M. X une certaine somme au titre des paiements effectués en exécution de la contribution à l'entretien et à l'éducation d'U. [pendant la période du 07 février 2008 au 29 avril 2016], l'arrêt retient que l'action en répétition peut être dirigée tant à l'encontre de la mère, créancière de la contribution, que contre le père biologique de l'enfant.
En statuant ainsi, alors que seule une action fondée sur l'enrichissement injustifié pouvait être engagée contre le père ayant profité du paiement, aux conditions prévues par la loi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
 
Vu les articles 2224 et 1376 du Code civil, ce dernier dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
Aux termes du second de ces textes, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Ce délai, qui correspond à la prescription de droit commun, est applicable, à défaut de dispositions propres aux quasi contrats, à l'action en répétition des paiements effectués en exécution d'une contribution à l'entretien et à l'éducation d'un enfant fondée sur l’effet déclaratif d’un jugement accueillant une action en contestation de paternité.
Pour condamner Mme Y à payer à M. X une certaine somme en remboursement de la contribution mensuelle à l'entretien et à l'éducation d'U. versée du 7 février 2008, date de l'ordonnance de non conciliation, au 29 avril 2016, date d'établissement de la filiation à l'égard de M. Z, l'arrêt retient que l'action en répétition de l'indu fondée sur l'effet déclaratif d'un jugement accueillant une action en contestation de paternité n'est pas soumise à la prescription quinquennale prévue à l'article 2224 du Code civil ».
Cass. 1re civ., 16 sept. 2020, n° 18-25.429,P+B *
 
 

*Le lien vers la référence documentaire sera actif à partir du 21 octobre 2020
Source : Actualités du droit