Retour aux articles

Frais de transport sanitaire : censure d’une différence de traitement dans la prise en charge

Social - Protection sociale
06/02/2019
Le Conseil constitutionnel censure une différence de traitement injustifiée, s’agissant de la prise en charge des frais de transport sanitaire des assurés sociaux entre, d’une part, les entreprises qui disposent d'une flotte mixte, composée de véhicules sanitaires légers (VSL) et de taxis et, d’autre part, celles qui ne disposent que d'un seul type de véhicules.
À l’occasion d'un recours formé contre la décision d’une caisse primaire d'assurance maladie demandant le remboursement d'un indu et refusant des prises en charges de factures de transport en taxi, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) était soulevée relativement à l'article L. 322-5, alinéa 1er du Code de la sécurité sociale.
Plus précisément, la QPC était formulée de la façon suivante : ces dispositions prévoyant « que les frais de transport sanitaires sont pris en charge sur la base du trajet et du mode de transport les moins onéreux compatibles avec l'état du bénéficiaire, dans l'interprétation constante qu'en donne la Cour de cassation conduisant à imposer aux entreprises de transport disposant à la fois de taxis et de véhicules sanitaires légers une limitation de la prise en charge au tarif de ces derniers même s'il est prouvé qu'ils sont indisponibles et que le transport a dû avoir lieu en taxi, est-il contraire à l'alinéa 11 du Préambule de 1946 garantissant le droit à la protection de la santé, au principe d'égalité devant la loi et au principe d'égalité devant les charges publiques, garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et à la liberté d'entreprendre garantie par l'article 4 de la même Déclaration ? ».
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation estimait alors que la question soulevée paraissait sérieuse, « dès lors que, se bornant à prévoir que les frais de transport des assurés sont pris en charge par l'assurance maladie sur la base du trajet et du mode de transport les moins onéreux compatibles avec l'état du bénéficiaire, sans préciser les conditions d'appréciation du principe ainsi énoncé selon les modalités de réalisation des transports, les dispositions critiquées sont susceptibles de méconnaître les exigences qui s'attachent aux dispositions, règles et principes de valeur constitutionnelle invoqués au soutien de la question » (Cass. 2civ., 25 oct. 2018, n° 18-11.223).
 
Saisi de cette QPC, le Conseil constitutionnel en délimite le champ, en la circonscrivant aux mots « et du mode de transport » figurant au premier alinéa de l'article L. 322-5 du Code de la sécurité sociale.
Puis il rappelle les termes de l’article 6 de la Déclaration de 1789, le principe d'égalité devant la loi ne s'opposant ni à ce que le législateur règle d'une façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
Les composantes du débat sont ensuite retracées : le 2° de l'article L. 321-1 du Code de la sécurité sociale prévoit, sous certaines conditions, la prise en charge par l'assurance maladie des frais de transport des assurés sociaux ou de leurs ayants droit obligés de se déplacer pour recevoir des soins, subir des examens médicaux ou se soumettre à un contrôle. Il en va ainsi, en application de l'article R. 322-10-1 de ce code, du transport assis professionnalisé, qui peut être effectué en véhicule sanitaire léger ou en taxi. Le niveau de prise en charge est déterminé à partir du tarif conventionné applicable, c'est-à-dire s'agissant des véhicules sanitaires légers, le tarif défini par la convention nationale prévue par l'article L. 322-5-2 de ce code et, s'agissant des taxis, le tarif déterminé par la convention conclue entre l'entreprise et la caisse primaire d'assurance maladie, sur le fondement du second alinéa de l'article L. 322-5.
Les frais de transport ne sont, en application du premier alinéa de l'article L. 322-5, pris en charge que dans la limite du trajet et du mode de transport les moins onéreux compatibles avec l'état du bénéficiaire. Il résulte de ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de cassation, que les prestations de transport assis professionnalisé effectuées par une entreprise disposant d'une flotte composée de véhicules sanitaires légers et de taxis sont prises en charge par l'assurance maladie dans la limite du tarif conventionné applicable à celui de ces deux modes de transport qui est le moins onéreux, y compris lorsqu'elle prouve que, au moment de la prise en charge du bénéficiaire, aucun des véhicules correspondant à ce mode de transport le moins onéreux n'était disponible.

Mais, comme le relève le Conseil constitutionnel, « dans la mesure où ces mêmes prestations, lorsqu'elles sont réalisées par des entreprises disposant d'une flotte uniquement composée de véhicules sanitaires légers ou de taxis, sont prises en charge sur la base du tarif conventionné applicable à chacun de ces modes de transport, il résulte des dispositions contestées, telles qu'interprétées, une différence de traitement entre ces entreprises et celles disposant d'une flotte mixte ».
S’il ressort des travaux préparatoires que, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu maîtriser les dépenses liées à la prise en charge par l'assurance maladie des frais de transport des assurés sociaux, il n’en demeure pas moins qu’ « une entreprise disposant d'une flotte mixte qui, pour une prestation donnée, n'est en mesure de proposer qu'un type de véhicules en raison de l'indisponibilité de l'autre type de véhicules n'est pas placée, au regard de l'objet de la loi, dans une situation différente d'une entreprise disposant d'un seul type de véhicules ». Or la différence de traitement contestée n'est pas justifiée par l'objectif d'intérêt général poursuivi par le législateur.
Cette méconnaissance du principe d'égalité devant la loi implique, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, que les mots « et du mode de transport » figurant au premier alinéa de l'article L. 322-5 du Code de la sécurité sociale soient déclarés contraires à la Constitution.

La déclaration d'inconstitutionnalité intervient à compter de la date de publication de la présente décision. Mais compte tenu de ses effets, le Conseil constitutionnel ne lui donne pas d’application aux instances introduites et non jugées définitivement à cette date : dans celles-ci, il convient de continuer à appliquer les dispositions contestées, dans leur rédaction résultant de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 (L. n° 2007-1786, 19 déc. 2007, art. 38, JO 21 déc.).

Pour en savoir plus, voir Le Lamy protection sociale, n° 1074.
Source : Actualités du droit