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Blockchain, cryptomonnaie, ICO : les derniers rapports à lire sur la plage…

Tech&droit - Blockchain
19/07/2018
Les mois de juin/juillet ont été riches en rapports sur la blockchain, les cryptoactifs et les ICO. Si vous voulez être au point pour suivre l’actualité législative de la rentrée (qui promet d'être un peu dense), voici quelques rapports à lire.
En matière de blockchain, l’heure est aux rapports et aux positions paper. Depuis la fin juin, pas moins de cinq rapports détaillent la position de tel ou tel think tank, institution, groupe de travail, etc. Et trois autres sont attendus… L’ère est au lobbying et à la détermination des « bons » curseurs, de nature à combiner encouragement de l’innovation et régulation.


Les derniers rapports sortis...
Crypto-assets report to the G20 on work by the FSB and standard-setting bodies (FSB, 16 juill. 2018). - Ce rapport du Financial Stability Board, dont les avis sont consultatifs, conclut à l’absence de risque systémique (« at present, like crypto-assets in general, crypto-asset platforms do not pose global financial stability risks »), tout en assurant regarder de près les évolutions rapides de ce secteur. Il met, par ailleurs, en exergue le défi que représenterait pour les banques centrales la création d’une monnaie numérique (« responding directly to the challenge with a central bank digital currency (CBDC) would be an entry into uncharted territory »).

Les principaux risques qu’il identifie sont ceux classiquement relevés : protection des investisseurs, intégrité du marché, lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, etc. (« they raise other significant concerns, including consumer and investor protection, market integrity and money laundering/terrorism financing, among others »).

Le rapport se penche également sur le marché secondaire : « Where crypto-assets are used solely for payment purposes (and are not securities), crypto-asset platforms trading such assets could, depending on the jurisdiction, be viewed more as part of the payments infrastructure or as some type of spot market exchanges ». Avec quatre angles d’analyse : « The Committee has also preliminarily identified a number of key issues it may consider including: (i) transparency; (ii) custody and settlement; (iii) trading; and (iv) cybersecurity and systems integrity ».

Le FSB met, en outre, l’accent sur les différences d’approche des régulateurs internationaux et encourage les États à se coordonner : « enforcement is often difficult because rules governing the instrument, the exchange and any intermediary may differ across jurisdictions. Authorities can therefore benefit from co-coordination with regard to supervision and enforcement ».

Enfin, le rapport s'arrête sur l’exposition des banques aux cryptoactifs et souligne la difficulté de mesurer ce risque. Une analyse du Basel Committee on Banking Supervision (BCBS) est cependant en cours (« the BCBS is currently conducting an initial stocktake on the materiality of banks’ direct and indirect exposures to crypto-assets. In principle, this could be followed by a structured data collection exercise on crypto-assets as part of the BCBS’s half-yearly Basel III monitoring exercise »). Dès que les résultats de cette étude seront connus, le BCBS jugera s’il est opportun, ou non, de clarifier ces règles prudentielles, au regard du nouveau risque que pourraient représenter pour les banques les cryptoactifs (« The BCBS will consider whether to formally clarify the prudential treatment of crypto-assets across the set of risk categories (credit risk, counterparty credit risk, market risk, liquidity risk, etc. »).
 
Le rapport de l’OPECST (OPECST, Comprendre les blockchains : fonctionnement et principaux enjeux de ces nouvelles technologies, 5 juill. 2018). - Cette étude revient, dans les soixante premières pages, sur l’historique de la blockchain et son fonctionnement, avant de se pencher dans les quarante pages suivantes sur ses enjeux (scalabilité, applications, enjeux monétaires, financiers et économiques, ceux énergétiques et environnementaux, les enjeux juridiques, et enfin, point non négligeable, les enjeux de souveraineté).

Le rapport liste quatre grandes problématiques juridiques : les activités frauduleuses, l’insertion de données illégales, la fiscalité, le régime de responsabilité et, enfin, la protection des données personnelles.

Sur le régime de responsabilité, précisément, le rapport s’interroge sur l’identification de la personne responsable lorsqu’un litige survient dans l’utilisation d’une application fonctionnant sur une blockchain publique : dès lors que « la logique de la blockchain est de faire reposer la confiance des utilisateurs non pas sur un organisateur central mais sur un code dont la lecture est ouverte tous (…), l’utilisateur peut être la victime d’un code qu’il n’a pas les moyens d’auditer ni même de comprendre ».

La compatibilité de la blockchain avec le RGPD n’est pas, non plus, une mince question. L’OPECST souligne que « La position de la CNIL est de ne pas considérer la blockchain comme un traitement en soi, mais seulement les applications qui fonctionnent avec des blockchains, de façon à permettre une meilleure identification du responsable de traitement. En ce qui concerne les droits personnels sur les données, garantis par le RGPD, elle invite les développeurs d’applications à réfléchir à des systèmes prévoyant le masquage des informations envoyées sur une blockchain publique ». Signalons, au passage, qu’un rapport de la CNIL doit, cet été, prendre position sur l’articulation blockchain/RGPD. Les rapporteurs « restent toutefois sceptiques quant à la possible émergence d’une blockchain publique qui soit respectueuse des exigences du RGPD et soumise au contrôle du régulateur ».
 
Le rapport de la Fondation Concorde (Fondation Concorde et Cabinet Alto Avocats, Comment faire de la France un leader des ICOs grâce à la technologie blockchain ?, 5 juill. 2018). - Ce rapport met l’accent sur la nécessité pour la France de proposer un cadre réellement attractif pour les porteurs de projets ICO. Ce qui ne saurait se faire, côté entrepreneur, sans faciliter l’ouverture des comptes (afin de pourvoir convertir les tokens en monnaie fiat) et sans une fiscalité innovante pour les personnes morales qui investiraient dans des ICO. Et, côté investisseur, sans apporter davantage de lisibilité sur la solidité des projets, notamment dans les white papers, et plus de droits (droit de rétractation dans les 14 jours de la souscription, par exemple).

Concrètement, cette étude propose :
  • La création d’un régime fiscal de faveur pour les opérations de conversion (pour inciter les investisseurs à convertir leurs cryptomonnaies dans des banques françaises) ;
  • La concertation avec les banques françaises pour assouplir leur KYC et créer des comptes dédiés aux opérations de conversion ;
  • L’orientation des investisseurs occasionnels vers le droit de la consommation permettrait de favoriser les ICOs en France ;
  • La création d’un statut optionnel de prestataires de services en cryptoactifs (afin de disqualifier les opportunistes qui biaisent aujourd’hui le regard des investisseurs) ;
  • Le renforcement de l’offre de formation/qualification existante pour les acteurs de ce marché.
Le rapport Landau (Landau J.-P., rapp. remis au ministre de l’Économie et des Finances, 4 juill. 2018). - Si l’on en reste aux aspects « régulation », soulignons que pour Jean-Pierre Landau, « il est essentiel de laisser les cryptomonnaies – et les innovations qu’elles portent – se développer dans l’espace virtuel qu’elles occupent. La règlementation doit  être « technologiquement neutre » ». Autrement dit, « Malgré les interrogations qu’elles suscitent, il n’est généralement pas souhaitable de réguler les cryptomonnaies – à l’exception essentielle de la lutte anti blanchiment (…). Il faut sans doute accepter de vivre temporairement dans une certaine ambigüité ».

Ceci étant précisé, le rapport apporte certaines ouvertures sur des sujets encore bien incertains. S’agissant du traitement comptable, côté émetteur de utility token, le rapport suggère « d’inscrire au passif de l’entité émettrice les sommes perçues en contrepartie de l’émission de tokens en produits constatés d’avance (et ce, dans l’attente de la production et de la fourniture du bien et du service), afin d’éviter l’inscription au compte de résultat de la totalité des sommes perçus dès le stade de l’émission ». Et, « dès lors que, dans le cadre d’une ICO, l’entité émettrice est amenée à détenir des cryptomonnaies perçues en contrepartie des tokens vendus, il est recommandé d’inscrire ces monnaies virtuelles à l’actif du bilan des entités émettrices au sein d’une classe d’instruments de trésorerie divers, qui a elle-même vocation à être créée au sein du plan comptable général ». Avec, pour conséquence, au plan fiscal, l’étalement du « paiement correspondant de l’impôt sur les sociétés en fonction de la constatation progressive au compte de résultat des produits perçus du niveau d’avancement des biens ou services, dont le token est la contrepartie ».

Côté investisseur, Jean-Pierre Landau propose de distinguer entre deux situations, dont les deux critères cumulatifs seraient la détention durable et la production/fourniture d’un bien et service. Si ces critères sont remplis, « les tokens effectivement détenus par les souscripteurs ont vocation à être inscrits à l’actif de leur bilan en tant qu’immobilisations incorporelles amortissables selon les règles de droit commun, et dépréciées le cas échéant selon les règles actuelles du plan comptable général ». Avec, comme conséquence fiscale, « un régime d’exonération à l’impôt sur le revenu en fonction de la durée de détention, s’inspirant en cela des règles applicables actuellement aux fonds communs de placement à risque (FCPR) ». À l’inverse, si ces critères n’étaient pas validés, « les tokens détenus par les souscripteurs ont vocation à être inscrits à l’actif de leur bilan au sein d’une classe d’instruments de trésorerie divers qu’il convient de créer au sein du plan comptable général », avec comme corrélation, « le régime fiscal applicable à l’achat et à la vente de cryptomonnaies, à savoir l’assujettissement soit au taux forfaitaire  de 40,2 % en cas de cession à titre occasionnel, soit au taux marginal pouvant aller jusqu’à 62,2 % au titre du régime des BIC en cas de cession à titre habituel ».

L’ancien gouverneur de la Banque de France propose également d’expérimenter pendant deux/trois ans un statut proche de la Bitlicence mise en place par l’État de New-York : « La régulation des plateformes d’échange pourrait passer, à court terme, par l’expérimentation à l’échelle nationale d’un statut spécifique portant agrément unique des prestataires de services de cryptomonnaies, les obligations afférentes étant modulées en fonction de la réalité des différents métiers exercés ».

S’agissant des ICO, la mission se cale sur l’approche in concreto de l’AMF (un visa optionnel, proposition reprise dans la loi PACTE ; sur ce sujet, v. Initial coin offering (ICO) : ce que prévoit le projet de loi PACTE, Actualités du droit, 21 juin 2018), plutôt que de tenter d’élaborer une classification normative distinguant les jetons.

Enfin, sur le sujet de l’accès aux comptes bancaires des émetteurs, le rapport se contente de préconiser un dialogue de place avec l’industrie bancaire voire, pour les activités indirectement liées aux cryptomonnaies, une simple recommandation professionnelle de la Fédération bancaire française (FBF).

Le rapport de France stratégie (France stratégie, Les enjeux des blockchains, 21 juin 2018). - France Stratégie émet dans ce rapport sept recommandations, portant sur la promotion des travaux de recherche, la formation, les projets d’infrastructure logicielle, le soutien de secteurs stratégiques, l’expertise au sein des pouvoirs publics, la monnaie numérique et la régulation.

Côté régulation, cette étude distingue cinq problématiques prioritaires :   
  • « se donner davantage de moyens techniques et humains pour lutter contre les usages ferauduleux ; définir et contrôler les règles de reporting applicables aux places de marché (exchanges), en développant des outils d’analyse, comme cela a été fait à Princeton sur le traçage des transactions ;
  • clarifier les règles fiscales et comptables qui protègent l’entrepreneur, l’investisseur et l’ordre public ; être capable de les adapter régulièrement en fonction des évolutions technologiques ;
  • définir les règles spécifiques qui permettraient aux entreprises actives dans les cryptomonnaies de respecter leurs obligations de KYC et AML permettant d’assurer un droit effectif au compte.
  • accompagner l’AMF à propos des ICO et faire avancer la réflexion sur le statut juridique des jetons ;
  • clarifier la valeur de preuve d’une inscription sur une blockchain ».
Le rapport propose également cinq fiches bien argumentées sur l’analyse juridique des tokens, les smart contract et le droit des contrats, la preuve et la signature numérique, la fiscalité et, enfin, les enjeux de conformité et le droit au compte bancaire.

Les prochaines étapes…
Trois autres rapports sont également attendus d’ici l’automne : L’examen du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) (TA AN, 2017-2018, n° 1088) sera, à l’automne, une première étape importante qui permettra, peut-être, de progresser sur quelques-unes de ces problématiques. Avant l’arrivée, au Parlement, du projet de loi de finances pour 2019.

Deux occasions de mesurer si les ambitions du gouvernement français sur la blockchain relèvent du marketing législatif ou, au contraire, révèlent une volonté de mettre en place un cadre de régulation réellement attractif…
 
Source : Actualités du droit