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Airbnb Irlande : Bruxelles impose une modification urgente des CGU du site

Tech&droit - Données
18/07/2018
La Commission européenne vient d’avertir AirBnB de la non-conformité de ses CGU, non pas au RGPD, mais à deux directives : celle sur les pratiques commerciales déloyales et celle sur les clauses abusives. La plateforme de réservation de logement en ligne a un mois et demi pour présenter ses propositions de modifications. L'éclairage d’Arnaud Touati, avocat associé, co-fondateur du cabinet Alto Avocats, et de Natacha Brami, stagiaire.
En juin dernier, sous la coordination de l’Autorité norvégienne des consommateurs (Forbrukertilsynet), le réseau de coopération en matière de protection des consommateurs (CPC, créé par le Règl. CE n° 2006/2004, 27 oct. 2004, JOCE, 9 déc. 2004, n° L 364/1, relatif à la coopération entre les autorités nationales chargées de veiller à l’application de la législation en matière de protection des consommateurs) a réalisé une évaluation conjointe des pratiques commerciales d’Airbnb (CPC, Position commune, 4 juin 2018).

Cette dernière a mis en lumière le fait que les conditions générales d’utilisation actuelles du site ne sont actuellement pas compatibles avec le droit des consommateurs de l’Union européenne (à savoir, la directive sur les pratiques commerciales déloyales, la directive concernant les clauses abusives dans les contrats et le règlement concernant la compétence judiciaire en matière civile et commerciale).
 
Les autres actions du Réseau de coopération en matière de protection des consommateurs
Volkswagen
Social media
Car-rental
In-app purchases
Dual quality of food
(source : https://ec.europa.eu/info/live-work-travel-eu/consumers/enforcement-consumer-protection/coordinated-actions_en)
 
Pour Vĕra Jourová, commissaire chargée de la justice, des consommateurs et de l'égalité des genres, « Il faut que les consommateurs puissent comprendre sans la moindre difficulté quels services ils achètent et le prix qu'ils sont censés payer pour ceux-ci et qu'ils puissent bénéficier de règles équitables en cas, par exemple, d'annulation de l'hébergement par le propriétaire. J'escompte bien qu'Airbnb donnera rapidement suite à nos demandes en appliquant les bonnes solutions ». Les autorités européennes demandent donc au site d’aligner ses conditions générales d’utilisation avec le droit européen, de manière à faire preuve de plus de transparences envers ses utilisateurs. Étant précisé, s’il en était besoin, que « (la) popularité (de Airbnb) ne peut en aucun cas justifier la violation du droit des consommateurs de l'UE » (Commission européenne, 16 juill. 2018, n° IP/18/4453).
 
Pratiques commerciales déloyales : quelles violations ?
La directive sur les pratiques commerciales déloyales prévoit à l’article 5. 1.b) du chapitre 2 qu’une pratique commerciale est déloyale si « elle altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique, par rapport au produit, du consommateur moyen qu’elle touche ou auquel elle s’adresse » (Dir. n° 2005/29/CE, 11 mai 2005, JO n° 149/22, art. 5. 1.b).
 
Omission d’une information substantielle.- Le CPC a relevé qu’Airbnb ne fournit pas de façon claire et directe le prix total incluant les frais supplémentaires obligatoires applicables comme les « frais de ménage » ou les « frais de service ». La clause 6.1 prévoit que « Airbnb peut facturer des frais aux Hôtes (les « Frais de l’Hôte ») et/ou aux Voyageurs (les « Frais du Voyageur ») (collectivement, les « Frais de service ») en contrepartie de l’utilisation de la Plateforme Airbnb. Pour en savoir plus sur les Frais de service applicables et leur mode de calcul, consultez notre page Frais de service ». Au paragraphe 6.2, il est simplement précisé que « Les Frais de service applicables (y compris les éventuelles Taxes applicables) sont communiqués à l’Hôte avant qu’il ne publie une Annonce ou au Voyageur avant qu’il ne réserve. Airbnb se réserve le droit de modifier à tout moment les Frais de service et en informera les Membres dans un délai raisonnable avant la prise d’effet des nouveaux tarifs ».
 
Cette démarche peut être considérée comme une pratique commerciale trompeuse, au sens de l’article 7, de la section, qui dispose qu’une pratique « est réputée trompeuse si, dans son contexte factuel, compte tenu de toutes ses caractéristiques et des circonstances ainsi que des limites propres au moyen de communication utilisé, elle omet une information substantielle dont le consommateur moyen a besoin, compte tenu du contexte, pour prendre une décision commerciale en connaissance de cause et, par conséquent, l'amène ou est susceptible de l'amener à prendre une décision commerciale qu'il n'aurait pas prise autrement » (Dir. n° 2005/29/CE, 11 mai 2005, JO n° 149/22, art. 7).
 
Un utilisateur peut, en effet, s’estimer trompé lorsque à la fin d’une démarche de réservation, il s’aperçoit que différents frais, non mentionnés au départ, s’ajoutent. Or les plateformes sont contraintes d’afficher clairement toutes les informations tarifaires et ce, dès la recherche initiale de l’utilisateur. Cette non-conformité, qui se fait donc au détriment des consommateurs, est l’un des premiers griefs opposés à Airbnb.
 
Qualification de l’hôte.- À ce manque de transparence de prix s’ajoute un manque de précision concernant la distinction entre hôte privé et hôte professionnel. La distinction entre un logement qui appartient à un particulier et un autre détenu par un professionnel n’est, pour le CPC, pas suffisamment explicite. En effet, dans la clause 2 « Éligibilité, Utilisation de la Plateforme Airbnb, Vérification des Membres » se référant aux membres, la différence entre hôte privé et professionnel n’est pas mentionnée. Seul un article d’aide publié sur le site d’Airbnb, rubrique, Aide, intitulé « Obligations juridiques des hôtes professionnels au sein de l’UE proposant des logements en location ou d’autres services aux consommateurs sur Airbnb » précise les conditions pour se déclarer hôte professionnel, dans une liste non exhaustive. Sans beaucoup d’explications, il est par ailleurs mentionné que : « Si vous êtes un hôte professionnel, vous pouvez ajouter et modifier vos informations (comme expliqué ci-dessus) dans la section Paramètres de votre compte. Une fois que vous aurez renseigné ces informations, celles-ci s'afficheront automatiquement sur chacune des pages de vos annonces ».

Pourtant, cette qualification d’hôte privé ou professionnel est importante : elle détermine les règles de protection applicables aux consommateurs qui varient dans l’une et l’autre hypothèse. Citons un exemple : conformément à l'article 16 (l) de la Directive sur les droits des consommateurs, les voyageurs ne disposent pas d'un droit de rétractation lorsqu’ils réservent un logement auprès d’un hôte professionnel (Dir. n° 2011/83/UE, 25 oct. 2011, JO n° L 304/64, art. 16). Cette précision devrait donc être ajoutée par la plateforme.
 
Clauses abusives dans les contrats : quelles violations ?
La directive concernant les clauses abusives dans les contrats prévoit que les clauses doivent être claires et compréhensibles, afin que les consommateurs puissent être informés de leurs droits de la façon la plus complète possible (Dir. n° 93/13/CEE, 5 avr. 1993, JO n° L 95/29, art 5).
 
Là encore, la Commission européenne relève plusieurs éléments à modifier :
  • Clause 3. Modification des présentes Conditions : Airbnb ne peut modifier unilatéralement les conditions sans en informer clairement les consommateurs au préalable et sans leur donner la possibilité d'annuler le contrat ; 
  • Clause 5. Contenu : les conditions de service ne peuvent pas octroyer de pouvoir discrétionnaire illimité à Airbnb en ce qui concerne la suppression de contenu ;
  • Clause 15. Durée et Résiliation, Suspension et autres Mesures Droit au recours : 
    • Airbnb ne peut déterminer unilatéralement et sans justification quelles conditions peuvent continuer à produire leurs effets en cas de résiliation d'un contrat ;
    • La résiliation ou la suspension d'un contrat par Airbnb devrait être expliquée au consommateur et être régie par des règles claires ; elle ne devrait pas priver le consommateur du droit à une indemnisation adéquate ou du droit d'introduire un recours ;
    • La politique d'Airbnb en matière de remboursement, d'indemnisation et de « plainte pour dommages » devrait être clairement définie et ne devrait pas priver les consommateurs de leur droit d'activer les voies de recours légales à leur disposition.
Quel impact pour Airbnb ?
La plateforme en ligne a jusqu’à fin août pour apporter ces modifications significatives à ses conditions générales d'utilisation. La Commission européenne n’exclut pas, par ailleurs, de rencontrer des représentants de cette société pour faire avancer cette mise en conformité.

Passé ce délai, si les mesures ne sont pas satisfaisantes, Airbnb ne pourra alors peut-être plus échapper à certaines « mesures d’exécution », du type injonction de modification de son site internet ou, en cas de refus, sanctions financières.

À noter ici que, faute d’entité commune au niveau européen, ces mesures potentielles devront être prises par les autorités en charge de la protection des consommateurs dans chaque État (en France, l'autorité compétente serait la DGCCRF). Airbnb pourrait alors faire face à des sanctions différentes et cumulatives selon les pays, dont la France...
Source : Actualités du droit