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Bail commercial : l'imprescriptibilité de fait des obligations d'entretien du bailleur

Immobilier - Immobilier
16/12/2025

Dans le cadre de la gestion des baux commerciaux, la question de la durée de responsabilité du propriétaire concernant l’état des locaux est primordiale. Une décision marquante de la Cour de cassation vient clarifier les règles relatives à l’obligation de délivrance et à la prescription des actions du locataire. Cette jurisprudence rappelle que le bailleur reste tenu de ses engagements bien au-delà des premières années du contrat.


Le principe de continuité de l'obligation de délivrance

Le Code civil encadre strictement les devoirs de celui qui met un bien en location. Selon l’article 1719, le bailleur a l’obligation de délivrer au preneur la chose louée. L’article 1720 complète cette règle en précisant que le propriétaire doit entretenir le bien en état de servir à l’usage prévu. Cette mission ne s’arrête pas au moment de la remise des clés. Elle est successive et continue.

L’obligation de délivrance se décline sous deux formes. D’abord, la délivrance matérielle, qui concerne l'état physique des murs. Ensuite, la délivrance juridique, qui garantit que le locataire peut exploiter son activité conformément au contrat. Si des réparations majeures deviennent nécessaires pour maintenir cette exploitation, le bailleur ne peut pas s'en décharger simplement parce que le bail est ancien.

La fin de l'obstacle de la prescription quinquennale

L’affaire traitée par la Cour de cassation concernait un bail commercial signé en 2012. Huit ans plus tard, en 2020, le locataire a poursuivi son propriétaire pour obtenir des travaux liés à la vétusté du bâtiment. La cour d’appel avait initialement jugé cette demande irrecevable, estimant que l’action était prescrite.

Les juges d’appel considéraient que le locataire connaissait l’état des locaux dès son entrée dans les lieux. Selon eux, le délai de prescription de cinq ans, prévu par l’article 2224 du Code civil, avait commencé à courir dès la prise d'effet du bail. En agissant après huit ans, le locataire aurait donc été hors délai.

La Cour de cassation a censuré cette analyse. Elle affirme que les obligations de délivrance et de jouissance paisible sont exigibles pendant toute la durée du bail. Le manquement du bailleur se renouvelle chaque jour tant que les travaux nécessaires ne sont pas réalisés. En conséquence, le locataire peut exiger l’exécution forcée des réparations à tout moment, sans que le délai de cinq ans ne puisse lui être opposé de manière définitive au début du contrat.

L'impact de la connaissance des lieux et la loi Pinel

Un point majeur de cet arrêt concerne la connaissance de la vétusté par le locataire. Le propriétaire soutenait que le preneur avait accepté les locaux en l'état. Cependant, les juges rappellent que la connaissance initiale des défauts ne dispense pas le bailleur de son obligation de maintenir le bien en bon état. La vétusté reste à la charge du propriétaire, sauf clause contraire très précise.

Il faut également souligner l'influence de la loi Pinel de 2014. Avant cette loi, la répartition des charges était plus souple. Aujourd'hui, le transfert de la charge des gros travaux au locataire est quasi impossible dans les nouveaux contrats. Les tribunaux interprètent toujours les clauses de travaux de manière restrictive, protégeant ainsi l'équilibre économique du bail commercial.

En conclusion, cette décision renforce la sécurité juridique des locataires commerçants. Elle confirme que le droit de disposer d'un local conforme à sa destination contractuelle ne s'éteint pas par le simple écoulement du temps. Le bailleur doit assurer l'entretien structurel du bien durant toute la vie du contrat, sous peine d'être condamné à des travaux sous astreinte. Cette pérennité de l'obligation de délivrance assure que l'outil de travail du commerçant reste opérationnel, indépendamment de l'ancienneté de son installation.