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Marketing d’influence : quel encadrement des pratiques des influenceurs en France ?

Public - Droit public des affaires
25/04/2023
Alors que le marketing d’influence prend de l’ampleur et est pointé du doigt pour ses dérives, les pouvoirs publics peinent à réguler efficacement l’action des influenceurs, faute d’un cadre d’action adapté. Parlementaires, professionnels et universitaires appellent aujourd’hui de leurs vœux la mise en place d’une véritable régulation du marché du marketing d’influence.
Rédigé sous la direction de Claudie Boiteau, en partenariat avec le Master Droit et régulation des marchés de l’Université Paris Dauphine-PSL
 
Depuis plusieurs mois, articles, enquêtes, initiatives parlementaires, consultations et débats ont mis en lumière un secteur à l’exposition médiatique et politique jusqu’ici limitée : le marketing d’influence.
 
Entendu comme l’ensemble des pratiques publicitaires des entreprises visant à utiliser le potentiel de recommandation des influenceurs et créateurs de contenus pour faire la promotion de leurs produits ou services, le marketing d’influence vient aujourd’hui concurrencer le marketing traditionnel.

Un marché en pleine expansion, exposé pour ses dérives

À l’ère numérique, les marques ont de plus en plus recours aux influenceurs, définis par l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) comme des « individus exprimant un point de vue ou donnant des conseils, dans un domaine spécifique et selon un style ou un traitement qui lui sont propres et que son audience identifie », notamment pour toucher les jeunes consommateurs, particulièrement attentifs aux réseaux sociaux (ARPP, Recommandation « Communication Publicitaire Numérique », 8 déc. 2021).
 
À tel point que le marché mondial du marketing d’influence connaît une très forte croissance ces dernières années. Entre 2016 et 2019, son chiffre d’affaires a été multiplié par près de quatre, s’élevant à 6,5 milliards de dollars en 2019, tandis que le nombre de plateformes et d’agences spécialisées dans la gestion des relations entre les marques et ces influenceurs a plus que triplé, passant de 335 à 1 120 entreprises (Influencer Marketing Hub et CreatorIQ, Influencer Marketing Benchmark Report 2020, in Statista « Marketing d'influence : un marché en pleine croissance », 28 août 2020).
 
En plein essor, ce nouveau secteur publicitaire est également pointé du doigt pour ses dérives. Dans un communiqué de presse publié le 23 janvier 2023, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a ainsi rapporté que, sur la soixantaine d’influenceurs et agences contrôlés par ses équipes depuis 2021, 60 % ne respectaient pas la réglementation sur la publicité et les droits des consommateurs (DGCCRF, Communiqué de presse, 23 janv. 2023 ; v. également Marketing d’influence : 60 % des influenceurs ciblés par la DGCCRF en anomalie, Actualités du droit, 23 janv. 2023).
 
Si les analyses conduites par l’ARPP dans le cadre de l’Observatoire de l’Influence Responsable 2021/2022 ont quant à elles relevé une nette amélioration de la transparence chez les créateurs de contenus, 31% des contenus publiés par les influenceurs dits « long tail » (moins de 10 000 abonnés) ne dévoilent toujours pas leur intention commerciale (ARPP, Communiqué de presse, 29 sept. 2022). En février, les acteurs de la publicité appelaient ainsi à « plus de transparence de la part des influenceurs quand leur contenu a un caractère commercial » (N. Richaud, Les acteurs de la publicité se positionnent sur la régulation des influenceurs, Les Échos, 15 févr. 2023).

Sur le plan judiciaire, plusieurs affaires médiatiques ont en outre donné une visibilité à certaines pratiques litigieuses du secteur : publicité clandestine, escroquerie, dénigrement… (AN, Rapport fait au nom de la commission des Affaires économiques sur la proposition de loi visant à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux, n° 672, 1er févr. 2023, pp. 8-9).

Face à ces dérives, les pouvoirs publics peinent parfois à réguler efficacement l’action des influenceurs. Ces difficultés s'expliquent notamment par la multitude de régimes juridiques applicables en matière de marketing d’influence.

Un cadre juridique à la fois laconique et redondant, provenant de sources éparses

La qualification juridique des relations contractuelles des parties en présence se caractérise par sa casuistique. Qu’il s’agisse de régir les relations entre annonceurs et influenceurs, pouvant relever tant du simple contrat de prestation de services que de statuts plus protecteurs soumis au Code du travail – mannequin, artiste-interprète ou salarié – ou celles entre influenceurs et d’éventuels intermédiaires – agent commercial, mandataire ou apporteur d’affaires –, dans le silence de la loi, c’est la nature du contrat qui emportera qualification.
 
Cependant, c’est dans l’examen du régime applicable au marketing d’influence que réside la principale difficulté. À défaut d’un dispositif codifié dans un recueil unique, apprécier la conformité des communications commerciales des influenceurs au droit impose de manier de nombreuses sources juridiques, qui relèvent à la fois du droit dur et du droit souple.
 
S’agissant des dispositions de droit dur, la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (L. n° 2004-575, 21 juin 2004, art. 20) et du Code de la consommation mettent à la charge des influenceurs une obligation de transparence en vertu de laquelle ils doivent préciser que leurs communications visant à promouvoir des produits ou services relèvent d’un partenariat rémunéré par un annonceur, sous peine de constituer une pratique commerciale trompeuse par omission (C. consom., art. L. 121-1).
 
Cette obligation s’impose aussi aux annonceurs, et s’est trouvée parfois expressément précisée. Les entreprises produisant ou commercialisant des produits de santé ont ainsi l’obligation de publier sur la base de données publique Transparence – Santé (www.transparence.sante.gouv.fr) les liens qu’ils entretiennent avec les influenceurs (CSP, art. L. 1453-1).
 
À cette obligation générale s'ajoutent diverses réglementations sectorielles, dont le champ d’application dépend de la catégorie de produit visé par la communication. La « loi Évin » du 10 janvier 1991 prévoit ainsi une interdiction des communications commerciales pour les produits du tabac (L. n° 91-32, 10 janv. 1991, relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme). Il en est de même s’agissant de la publicité pour les produits phytosanitaires, interdite dès lors qu’elle n’est pas destinée aux utilisateurs professionnels (C. rur., art. L. 253-5).
 
Le marketing d’influence s’inscrit enfin dans un cadre d’autorégulation, contrôlé par l’ARPP qui élabore avec les acteurs de la publicité des règles déontologiques contenues dans ses recommandations, mises en lumière à l’international par l’intermédiaire de la Chambre de commerce internationale (ICC Publicité et Marketing). Au niveau européen, l’European Advertising Standards Alliance (EASA) coordonne les systèmes d’autorégulation nationaux de la publicité avec les parties prenantes.
 
Le pouvoir de sanction des régulateurs, outil insuffisant pour lutter contre les dérives
 
Les acteurs qui ne respecteraient pas le cadre juridique applicable au marketing d’influence peuvent faire l’objet de sanctions graduées en fonction du degré de gravité du manquement retenu.
 
La DGCCRF peut adopter des suites pédagogiques, correctives mais également répressives aux constatations réalisées pendant ses contrôles et enquêtes. C’est ainsi que, à l’été 2021, suite à une enquête de la DGCCRF, Nabilla Benattia-Vergara a été la première influenceuse condamnée au paiement d’une amende transactionnelle de 20 000 € pour des pratiques commerciales trompeuses sur le réseau social Snapchat (DGCCRF, Communiqué de presse, 28 juill. 2021). Mais, malgré le constat de nombreuses infractions, peu de sanctions ont été prononcées à ce jour. 
 
Les « régulateurs privés », qui sont dénués de pouvoir coercitif, peuvent en outre prononcer des sanctions nuisant à leur réputation. L’ARPP peut ainsi ordonner la suspension ou le retrait du Certificat de l'Influence Responsable à titre de sanction, à condition qu’il ait été au préalable accordé. De son côté, le Jury de déontologie publicitaire (JDP), instance indépendante qui a pour mission de se prononcer sur des plaintes émises à l'encontre de publicités au regard des règles professionnelles, pratique le « name and shame ».
 
Ces sanctions ne sont pas à négliger dans la mesure où elles peuvent susciter des réactions négatives chez les consommateurs, qui auront un effet sur la réputation de la marque ou de l’influenceur de la marque ou de l’influenceur. Leur manque de visibilité, surtout auprès des publics les plus jeunes, est néanmoins de nature à nuancer leur portée.
 
Assurer la bonne application du cadre juridique existant, avant de légiférer
 
Il est difficile de réaliser un recensement efficace des influenceurs, l’exercice de cette activité étant libre. Selon le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, près de 150 000 Français exerceraient cette activité à titre principal ou secondaire (Guide de bonne conduite « Influenceurs et créateurs de contenus – L’essentiel de vos droits et devoirs », mars 2023).
 
Au vu de ce nombre, il semble nécessaire, avant de légiférer, de faire appliquer la législation existante et de renforcer les moyens des autorités nationales de régulation, en particulier de l’Autorité des marchés financiers (AMF), de l’Autorité nationale des jeux (ANJ) et de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), afin de leur fournir les outils nécessaires pour assister ou suppléer les agents de la DGCCRF dans leur mission de régulation.
 
À cet égard, la doctrine préconise d’encadrer l’activité des influenceurs en matière publicitaire par la responsabilisation des diffuseurs, les plateformes de partage de vidéos (M. Le Roy, Réguler les influenceurs ? La piste inexploitée de la régulation de leurs diffuseurs, Droit du cinéma, 24 janv. 2023). Depuis 2020, ces plateformes doivent en effet informer clairement leurs utilisateurs de la présence de communications commerciales, qui doivent par ailleurs respecter un certain nombre d’exigences prévues par décret en Conseil d’État (L. n° 86-1067, 30 sept. 1986, relative à la liberté de communication (« Loi Léotard »), art. 60 ; D. n° 2021-1922, 30 déc. 2021, pris pour l'application de l'article 60 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté d’expression et fixant les principes généraux applicables aux communications commerciales audiovisuelles fournies sur les plateformes de partage de vidéos). L’Arcom, compétente pour contrôler le respect de ces dispositions, a donc déjà entre les mains un instrument efficace pour restreindre les abus des influenceurs.
 
Rédigé par Julie Michel et Andréa Robert, étudiantes du Master Droit et régulation des marchés de l’Université Paris-Dauphine-PSL
 
Une proposition de loi visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux a été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 30 mars 2023 (proposition de loi AN n° 790, 2022-2023 ; v. également Influenceurs et créateurs de contenus : vers un encadrement de l’activité, Actualités du droit, 29 mars 2023).
Source : Actualités du droit