Retour aux articles

Proposition du 118e Congrès des Notaires de France : la solennisation de la vente immobilière

Civil - Immobilier
20/10/2022
Le 13 octobre 2022, lors du 118e Congrès des Notaires de France, a été adoptée à plus de 90 % la proposition de la première commission visant à solenniser la vente immobilière. La mesure a pour ambition de limiter le risque de contentieux mais également d’installer un régime cohérent avec les exigences de formalisme qui peuvent parfois s’opposer au principe de consensualisme.
Les motivations de la commission
La première commission pointe en premier lieu le risque important que constitue le principe du consensualisme. En effet, les clients ne maîtrisent pas les modalités de formation des contrats de vente et peu d’entre eux savent, pour reprendre l’expression du président de la commission Me Olivier Valard, « qu’une vente immobilière puisse être formée selon les même modalités […] qu’une vente portant sur un pain au chocolat ». Cela mène parfois les parties à conclure une vente immobilière sans que leur consentement soit complètement éclairé. Il n’est ainsi pas rare qu’elles aient échangé des courriers correspondant à une offre et une acceptation valant contrat, comme le veut le principe du consensualisme. À ce risque de contentieux s’ajoute celui du blocage des biens jusqu’à l’issue de la procédure, par l’utilisation de la prénotation, technique qui serait de plus en plus utilisée.
Enfin, le consommateur immobilier est protégé par un grand nombre de dispositifs qui sont « incohérents avec le principe de consensualisme ». La commission cite notamment le délai de rétractation et de réflexion SRU, la garantie de superficie privative de la loi dite « Carrez » imposant au vendeur d’effectuer une déclaration dans l’acte pour renseigner son acquéreur sur la superficie du bien, la remise du diagnostic technique qui conditionne soit la possibilité d’exonération des vices cachés soit la validité même de l’acte, les règles de preuves imposant que les transactions au-delà de 1 500 € soient prouvées par écrit ou encore les règles de publicités foncière, formalismes tendant à faire du contrat de vente immobilière un « contrat solennel de fait ».
Pour toutes ces raisons, la commission propose donc de solenniser le contrat de vente d’immeuble par l’insertion d’un nouvel article 1583-1 dans le Code civil :

Article 1583-1 du Code civil (proposition) :
 « Par exception, la vente d’un immeuble doit être constatée par acte authentique à peine de nullité. Cette nullité ne peut être invoquée que par l’une des parties au contrat. La violation d’un engagement de vendre ou d’acheter non constaté par acte authentique ne peut donner lieu qu’à l’octroi de dommages et intérêts. ».
 
L’analyse du professeur Philippe STOFFEL-MUNCK
Les travaux de la première commission ayant été réalisés en parallèle de ceux du professeur STOFFEL-MUNCK sur la réforme des contrats spéciaux, ce dernier a été invité a exposé son point de vue sur la proposition. Il souligne d’abord l’importance du consensualisme en droit français : « Il faut savoir quand même à quoi on s’attaque […], ni plus ni moins que l’expression juridique d’un principe philosophique selon lequel l’homme peut s’engager par l’expression libre, informelle de sa volonté ».
Il rappelle cependant rapidement l’existence de nombreuses entorses à ce principe. Des entorses prévues par le législateur (cession de créances, hypothèque, licence de brevet, etc.) mais également du fait de la pratique : bien souvent les parties, lorsque le contrat présente un certain degré de complexité, subordonnent la formation de leur acte à la signature d’un document. « Je n’ai jamais vu un contrat de cession de contrôle d’une entreprise se faire en application du principe du consensualisme » souligne-t-il.
La complexité du contrat de vente immobilière (et non pas tant son enjeu financier) devrait donc conduire à ce qu’il échappe au principe du consensualisme, dans une logique « qui dépasse celui de la vente immobilière ». On le comprend aisément dans la mesure où l’enjeu financier d’une vente immobilière est un critère qui peut varier selon les parties (entreprises ou particuliers, patrimoine faible ou important etc.) alors que sa complexité, avec tous le formalisme qu’elle impose, est la même pour tous.
Citant Napoléon pour appuyer la dimension politique de la vente immobilière, qui justifierait que sa conclusion soit solennisée : « […] peu importe comment un individu dispose de quelques diamants, de quelques tableaux, mais la manière dont il dispose de sa propriété territoriale ne peut pas être indifférente à la société », le professeur lui reconnaît aussi un côté « sociologique », qui mettrait en accord « la croyance commune avec la réalité juridique », la plupart des citoyens étant convaincus que la vente immobilière doit se faire devant notaire pour être valable.

Une proposition largement plébiscitée
Mise au débat après l’intervention du professeur, la proposition a fait l’objet de nombreuses interventions et est largement saluée. « Pourquoi ne pas aller plus loin ? » demande Me Olivier Vix, qui propose de solenniser également les servitudes. Sur ce point, la commission dit avoir fait preuve de modestie mais reste prête, dans le futur, à voir l’authenticité gagner du terrain. Quid des procurations ? ne devraient-elles pas aussi être authentiques interroge Me Fabrice Gauthier ? A priori, oui répond Me Laure Pasquier-Mignot, rapporteur de la commission, « qui dit acte solennel dit procuration authentique ».
Félicitant la commission d’avoir eu le courage de lancer ce débat, le président du 109ème congrès des notaires, Me Pierre-Jean Meyssan, espère qu’il sera entendu au-delà du congrès. Me Olivier Valard ne cache pas l’ambition du groupe de travail dont il affirme qu’il a déjà commencé à travailler « à la concrétisation de cette proposition ».
Le professeur Laurent Leveneur clôturera les interventions de la salle sur un ton quasi-théâtral, lui qui avait évoqué l’idée de ne solenniser que les terrains bâtis pour tenir compte des « petites ventes de rien du tout », reconnaît finalement la nécessité d’une solennisation pour toutes les ventes d’immeuble et conclura « et bien allons y vers la solennisation de droit et bravo ! ».

La proposition est mise au vote et adoptée avec 90,9 % des suffrages.
 
Source : Actualités du droit